Romans Scientifiques

Romans Scientifiques

De la science cachée dans de la littérature, ou l'inverse...

Eric Simon

Romans Scientifiques, comme son nom l'indique, est dédié à cette forme particulière de romans où la science n'est pas fiction, mais bien réelle. Romans Scientifiques est une émanation du blog/podcast Ça Se Passe Là-Haut

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Soixante Nanosecondes, chapitres 1 et 2

Il ne cliqua pas sur envoyer. Daniel n’arrivait pas à se décider à annoncer à Luigi la mauvaise nouvelle. Le résultat de la mesure était si absurde, il voulait encore chercher. Ils ne faisaient que ça depuis plus d’un mois.

La première mesure de la vitesse de neutrinos sur une longue distance venait d'être effectuée et son résultat était aberrant. Ils avaient été détectés avec soixante nanosecondes d'avance sur ce qu'on pouvait logiquement attendre. Il devait y avoir un problème dans le processus de la manip. Il faut dire que cette mesure de vitesse relevait de l'usine à gaz. La collaboration scientifique SYMPHONIE qui étudiait les oscillations de ces particules élémentaires qu'on appelait des neutrinos, avait décidé, à la courte majorité de ces membres, d'ajouter une mesure de vitesse à ses actions expérimentales, même si cette donnée en soi n'apportait rien pour la problématique de l'oscillométrie des neutrinos.

Cela faisait cinq ans que Luigi Scuola était devenu le porte-parole puis le directeur scientifique de la collaboration internationale qui regroupait plusieurs dizaines de physiciens et physiciennes de neuf pays européens. Il avait besoin de publier un résultat sur cette mesure de vitesse avant que l'expérience américaine concurrente ne le fasse. Question de prestige. (...)

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Soixante Nanosecondes, Chapitre 3

Il avait fallu presque une année entière pour finaliser la conception de la manip une fois que cette dernière avait été acceptée par le consortium SYMPHONIE. A l'automne 2009, le temps semblait passer trop vite pour Frédéric Fournier qui entamait sa deuxième et avant dernière année de thèse. Il commençait sérieusement à se dire qu'il ne verrait peut-être pas la mesure en elle-même mais juste sa mise au point et les tests associés.

L'équipe d'Orsay s'étoffa par l'arrivée d'une jeune chercheuse en post doctorat, une sympathique brune italienne longiligne à la voix plus rauque que suave. Cristina Voldoni venait de soutenir sa thèse à l'Université de Milan sur la recherche d'une désintégration béta extrêmement rare, dans le but de démontrer la nature potentiellement très particulière des neutrinos : qu'ils seraient leur propre antiparticule. Sa manip s'appelait GERMA, un nom facilement trouvé pour une expérience qui utilisait de gros détecteurs en germanium. Elle était également installée au laboratoire souterrain du Gran Sasso. Cristina  avait le gros avantage de bien connaître à la fois la physique des neutrinos et le labo souterrain, en plus de connaître la langue de Pirandello. Daniel était fier de sa recrue. (...)

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Soixante Nanosecondes, Chapitre 4

En octobre, Ettore devait se rendre en compagnie de Heisenberg à un congrès de physique à Bruxelles, c'était la septième conférence du genre. Les grands noms de la physique quantique devaient y participer. C'était une occasion de revoir le pape Enrico Fermi, comme il l'appelait. Paul Dirac et Albert Einstein y étaient attendus, ainsi que le danois Niels Bohr.

Ils avaient prévus de s'y rendre juste après leur séjour de six semaines à Copenhague.

Depuis la capitale danoise, Heisenberg, Rosenfeld et lui prirent le train en direction de la Hollande sous une pluie battante. Ettore se réjouissait de retrouver son maître Fermi ainsi que de rencontrer pour la première fois le père de la grande théorie de la Relativité Générale. Il était en revanche dépité de devoir rencontrer Paul Dirac, et craignait surtout d'entendre beaucoup parler de sa fumeuse théorie de l'électrodynamique et ses énergies négatives...

Le thème de ce septième
congrès de la fondation Solvay était la structure et les propriétés des noyaux
atomiques. Nul doute que se déroulant non loin de Paris et présidé cette année
encore par Paul Langevin, le couple Joliot serait là, une occasion peut-être
pour Ettore de leur reparler de la découverte qu'ils avaient ratée au profit
d'un autre anglais

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Soixante Nanosecondes, Chapitre 5

Il faudrait bien annoncer un jour la valeur mesurée à Luigi Scuola. Luigi était un de ces professeurs émérites qui forçaient le respect. Il aurait bientôt soixante-quinze ans, qui était pour lui l'âge ultime au-delà duquel il ne pourrait plus exercer de fonction officielle, la loi italienne était ainsi faite. Elle fixait la limite d'âge à dix ans après la date légale de départ à la retraite. De nombreux chercheurs obtenaient aisément le grade de professeur émérite dans le seul but de poursuivre leur travail passionnant. Certains profitaient de cette facilité pour éviter de se retrouver brutalement du jour au lendemain à la maison, en tête à tête avec la mamma.

 Luigi avait rejoint l'INFN, l'institut italien de physique nucléaire, alors que l'aura de Enrico Fermi était encore vive, même plus de vingt ans après son exil aux Etats-Unis. C'était en 1961, cinq ans après la découverte expérimentale de l'existence des neutrinos par les américains Reines et Cowan. C'était une époque bénie où partout en Europe la physique nucléaire vivait un véritable boom. Les étudiants en physique étaient recrutés à tour de bras dans les grands organismes de recherche ou les universités. Luigi avait fait partie de ceux-là et s'était lancé tout de suite dans ce domaine tout nouveau qu'était la physique des neutrinos. Il ne l'avait pas quitté depuis, cinquante ans dévolus aux particules fantômes, neutrinos et antineutrinos, des trois saveurs connues.

Luigi était ce qu'on appelait un ponte. Il faisait partie des plus grands experts mondiaux des neutrinos. Il avait trempé dans les expériences les plus impressionnantes dédiées à la détection des neutrinos, qu'ils soient d'origine atmosphérique, solaire ou astrophysique.

Daniel, qui ne s'était intéressé aux neutrinos que sur le tard, se sentait tout petit quand il parlait avec Luigi, comme un enfant devant son maître d'école, malgré sa cinquantaine bien tassée. Il n'osait pas lui annoncer qu'il mesurait des neutrinos qui allaient plus vite que la lumière sans avoir encore trouvé l'origine du défaut de mesure depuis maintenant des semaines... Le jour tant redouté arriva fin mars quand Daniel reçu un coup de téléphone, le numéro qui s'afficha sur l'écran était celui de Luigi. Daniel laissa sonner trois fois en réfléchissant vite à la façon d'amener la chose puis décrocha.(...)

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Soixante Nanosecondes, Chapitre 6

Il faisait encore chaud ce soir de fin octobre lorsque le train s'immobilisa dans la gare centrale romaine. Le jeune homme ténébreux qui patientait depuis cinq minutes derrière la porte vitrée du wagon put enfin descendre sans un regard autour de lui. Fermi le suivait, suivi de Emilio Segré. Les trois scientifiques se séparèrent sur le parvis de la gare, se saluèrent et se donnèrent rendez-vous le lundi suivant à l'Institut.

Ettore se dirigeait à pieds vers son petit appartement qui se trouvait via Ruinaglia, à mi-chemin de la gare Termini et de l'Institut de Physique. Il était plongé dans des pensées sombres. Il repensait à cet homme qui le suivait. Puis l'instant d'après il pensait à ce qu'il avait appris à Leipzig et comment cela avait été accueilli par la communauté des physiciens au congrès Solvay. La théorie que Paul Dirac avait publiée il y a cinq ans était maintenant portée aux nues. L'homme à la casquette avait une vague ressemblance avec Dirac.

 Il portait une lourde valise, marchant lentement sur la Via Cavour, cette longue avenue qui lui permettait de voir facilement si quelqu'un restait derrière lui en se retournant à intervalles réguliers mais tout de même aléatoires pour surprendre cet éventuel poursuivant.

Ettore savait que ce n'était pas la bonne théorie pour expliquer les particules d'énergie négative. Et il l'avait trouvée à Leipzig, la bonne théorie, elle était beaucoup plus élégante que celle de l'anglais. C'était juste après que la nouvelle de la découverte de l'électron positif s'était répandue au département de physique de l'Université de Leipzig. Ça ne lui avait même pas pris beaucoup de temps finalement. Entre le jour où Heisenberg lui avait montré l'article de Anderson et la fin de sa démonstration qu'il avait laissée à l'état de brouillon sur un grand cahier, il avait dû se passer à peine cinq ou six semaines, peut-être moins. Ettore se retournait de temps en temps pour voir si jamais quelqu'un le suivait. Il y avait peu de monde dans les rues à cette heure. (...)