Il faisait encore chaud ce soir de fin octobre lorsque le train s'immobilisa dans la gare centrale romaine. Le jeune homme ténébreux qui patientait depuis cinq minutes derrière la porte vitrée du wagon put enfin descendre sans un regard autour de lui. Fermi le suivait, suivi de Emilio Segré. Les trois scientifiques se séparèrent sur le parvis de la gare, se saluèrent et se donnèrent rendez-vous le lundi suivant à l'Institut.

Ettore se dirigeait à pieds vers son petit appartement qui se trouvait via Ruinaglia, à mi-chemin de la gare Termini et de l'Institut de Physique. Il était plongé dans des pensées sombres. Il repensait à cet homme qui le suivait. Puis l'instant d'après il pensait à ce qu'il avait appris à Leipzig et comment cela avait été accueilli par la communauté des physiciens au congrès Solvay. La théorie que Paul Dirac avait publiée il y a cinq ans était maintenant portée aux nues. L'homme à la casquette avait une vague ressemblance avec Dirac.

 Il portait une lourde valise, marchant lentement sur la Via Cavour, cette longue avenue qui lui permettait de voir facilement si quelqu'un restait derrière lui en se retournant à intervalles réguliers mais tout de même aléatoires pour surprendre cet éventuel poursuivant.

Ettore savait que ce n'était pas la bonne théorie pour expliquer les particules d'énergie négative. Et il l'avait trouvée à Leipzig, la bonne théorie, elle était beaucoup plus élégante que celle de l'anglais. C'était juste après que la nouvelle de la découverte de l'électron positif s'était répandue au département de physique de l'Université de Leipzig. Ça ne lui avait même pas pris beaucoup de temps finalement. Entre le jour où Heisenberg lui avait montré l'article de Anderson et la fin de sa démonstration qu'il avait laissée à l'état de brouillon sur un grand cahier, il avait dû se passer à peine cinq ou six semaines, peut-être moins. Ettore se retournait de temps en temps pour voir si jamais quelqu'un le suivait. Il y avait peu de monde dans les rues à cette heure. (...)